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Les CHIFFRES de la TRANSMISSION D’ENTREPRISE sur lesquels le GOUVERNEMENT base son projet de loi ESS sont FAUX !

MÉFIONS NOUS DES CONCLUSIONS HÂTIVES SUR LES CHIFFRES ET LES STATISTIQUES…

Les derniers chiffres erronés du chômage ont montré comment, même sur la statistique la plus surveillée / contrôlée / regardée / attendue en France, une ÉNORME erreur de calcul ou d’interprétation pouvait se glisser sans crier gare. Et à part se réjouir de la baisse conséquente du chômage en août, que pouvait faire Michel SAPIN tant qu’il n’était pas au courant du bug SFR ?

Alors que le gouvernement avance sur son projet de loi Économie Sociale et Solidaire, il apparait clairement que les informations qui lui ont été remontées, et notamment à M. HAMON, ont fait état d’une situation particulièrement préoccupante de la cession d’entreprise en France. Ainsi, des dizaines de milliers d’emplois salariés seraient perdus chaque année dans des PME saines disparaissant faute de repreneurs… Interview de Benoît Hamon (à 2min30s)

De ce constat fut donc décidé d’instaurer le droit d’information aux salariés avant cession pour tenter de mettre fin à cette situation inacceptable.

Nouvelle illustration du problème quand dans son document préparatoire « Le point sur… » du jeudi 25 juillet 2013 le gouvernement indique qu’en « 2011, 2383 PME de 10 à 49 salariés ont fermé faute de repreneurs, représentant 37.000 salariés ».

Le problème est que tout cela est… faux !


Les marchés étant différents, concentrons-nous dans un premier temps sur les sociétés de plus de 10 salariés.

QUELS SONT LES CHIFFRES DISPONIBLES SUR LES SOCIÉTÉS SAINES NON TRANSMISES FAUTE DE REPRENEURS

Très peu d’études sérieuses ont été réalisées sur les sociétés qui disparaîtraient chaque année faute de repreneurs.

L’information est d’une extrême complexité à récolter et demanderait presque, pour qu’elle soit fiable, de poser la question à chaque entrepreneur. En effet, lors d’une cessation d’activité, aucun formulaire ne demande au chef d’entreprise la raison de cette fermeture. Chacun comprendra donc que tout chiffre sur le sujet doit être utilisé avec précaution, le risque de contresens étant important.

L’étude BPCE de 2011 et sa mise à jour en 2012, est à notre connaissance la seule à s’être penchée avec méthodologie sur ce sujet.

QUELLES SONT LES SOURCES UTILISÉES PAR LE GOUVERNEMENT POUR COMPRENDRE LA TRANSMISSION D’ENTREPRISE EN FRANCE

L’étude d’impact du 24 juillet 2013 relative au projet de loi Économie Sociale et Solidaire dresse en annexe II (pages 171 à 182) les différentes sources utilisées par le gouvernement sur le volet « transmission d’entreprise ».

Il est intéressant de noter que l’étude BPCE est bien citée et qu’elle est également la seule à aborder de façon globale la question de la cessation d’activité des sociétés. Les experts comptables avancent bien un chiffre (qu’il conviendrait d’étudier également), mais pour les sociétés dont le chef d’entreprise serait décédé, ce qui est une autre problématique.

QUE DIT L’ÉTUDE BPCE SUR LES SOCIÉTÉS SAINES QUI DISPARAITRAIENT SANS REPRISE

L’étude BPCE 2011 a consacré des moyens importants pour comprendre ce sujet et conclut que « quelques centaines de PME (NDLR : 10-250 salariés), à priori en bonne santé, disparaîtraient sans reprise chaque année en France. ». (conclusion que vous pouvez lire page 11 de l’étude)

Notons que tous les conditionnels utilisés laissent penser qu’il faudrait creuser davantage pour obtenir des chiffres réellement fiables. Néanmoins, saluons la méthodologie de l’étude qui permet réellement de comprendre comment les auteurs sont arrivés à cette conclusion.

Pour résumer cette méthodologie :
1) Étude de l’ensemble des sociétés qui ont disparu du fichier SIRENE d’une année à l’autre et non identifiées dans les reprises ni dans les procédures judiciaires
2) Retraitement de ces données brutes en les croisant avec d’autres informations pertinentes

En données brutes, on obtient donc le nombre maximum de sociétés saines qui auraient pu disparaitre faute de repreneurs (dans l’hypothèse où elles seraient toutes dans ce cas) : soit pour les sociétés de 10 à 49 salariés 3110 entreprise en 2010 (2153 + 957) et 2655 en 2011 (1933 + 722).

Tableau présentant les cessations d’activité en 2010, source étude BPCE 2011

Tableau présentant les cessations d’activité en 2011, source étude BPCE 2012

La véritable pertinence de cette étude réside dans le fait qu’elle ne s’arrête pas à ces chiffres bruts auxquels il est possible de faire dire à peu près tout et son contraire.

Sans rentrer dans des détails trop techniques (vous pouvez lire les pages 10 et 11 de l’étude pour cela) on apprend que parmi ces sociétés :

• 66% sont en fait des entreprises mal classées en termes de risque financier (catégories D et E sur une échelle allant de A à E).
• Les sociétés disparues pour raisons judiciaires avaient ces mêmes notes de risque D et E pour 85% d’entre elles.
• Ainsi, seules 600 PME en bonne santé auraient cessé leur activité en 2010.
• « Une analyse au cas par cas réalisée par pH Group sur un échantillon de codes SIRENE concernés montre qu’environ un quart d’entre elles (…) ont finalement fait l’objet d’une cession non identifiée, notamment pour des raisons de calendrier (elle peut avoir eu lieu en 2009 et la disparition n’avoir été enregistrée qu’en 2010)».

A cela on pourrait ajouter également :

• qu’une société peut présenter un bilan excellent en année N et être en grande difficulté en année N+1. Il n’y a qu’à prendre une société comme Spanghero récemment au cœur de l’actualité pour s’en convaincre !
• que les auteurs n’ont pas indiqué s’ils avaient comptabilisé les sociétés qui auraient pu être reprises via une cession du fonds de commerce plutôt que par une cession de titres et dont la coquille vide aurait tout simplement été fermée.
• que la plupart des sociétés qui restent (quelques centaines selon l’étude) une fois effectués tous ces retraitements sont en fait des sociétés présentant une situation très particulière comme le décès du dirigeant. Et donc dans la quasi totalité des cas, rien à voir avec le fait qu’il n’ait pas trouvé de repreneur !


POURQUOI LES CHIFFRES DU GOUVERNEMENT SONT SI ÉLOIGNÉS DE CEUX DE LA BPCE

Rappelons que pour le gouvernement, « Chaque année de nombreuses PME saines disparaissent lorsque le chef d’entreprise cherche à céder son activité, faute de repreneurs » (document explicatif page 4) et que rien qu’en 2011, « 2383 PME de 10 à 49 salariés ont fermé faute de repreneurs, représentant 37.000 salariés » (le point sur… page 2) !

Ainsi, soit le gouvernement a utilisé d’autres chiffres (mais il n’y en a guère d’autres de disponibles) et ces derniers seraient alors en totale contradiction avec l’étude BPCE.

Soit le gouvernement a visiblement mal interprété les chiffres de l’étude.

En effet, il semble que le gouvernement ait tout simplement utilisé les chiffres bruts de l’étude 2012 (nombre de sociétés disparues du fichier SIRENE) sans prendre un compte toutes les remarques et explications qui se trouvaient dans l’étude… de 2011 !

Celle de 2012 n’étant qu’une mise à jour et se concentrant essentiellement sur le thème de la transmission intrafamiliale, les informations de retraitement n’ont pas été reprises pour expliquer les chiffres bruts des cessations d’activité.

Ainsi, le raccourci était sans doute tentant de prendre le chiffre des sociétés disparues par « mort naturelle » et d’en conclure à une disparition par manque de repreneurs pour quelqu’un de non averti.

QU’EN PENSENT LES PROFESSIONNELS DE LA CESSION D’ENTREPRISE

Si l’on peut faire dire tout et son contraire aux chiffres, le terrain lui ne peut pas mentir. C’est d’ailleurs pour cela que les politiques s’y rendent régulièrement quel que soit le sujet, pour prendre le pouls de la situation.

Et sur le terrain, les professionnels qui accompagnent les cédants de PME affirment que toutes les sociétés en bonne santé se transmettent sans problème particulier, pour autant que le prix soit dans la norme.

Les repreneurs pointent quant à eux le manque d’offres de cession et doivent patienter pour certains plusieurs années avant de pouvoir reprendre une entreprise.

C’est également le ressenti et la perception de ce marché que nous avons à travers FUSACQ depuis plus de 10 ans et après avoir vu, durant cette période, des dizaines de milliers de sociétés à vendre transiter par nos sites.

QUI DIT VRAI

Ceux qui veulent toujours défendre l’hypothèse que des milliers d’entreprises saines disparaissent chaque année faute de repreneurs vous répondront que c’est une classique bataille de chiffres – sans d’ailleurs vous en fournir aucun de probant ! – et que tout le monde sait bien que le problème de la transmission des PME existe réellement.

Mais s’il y a tant d’entreprises en bonne santé qui disparaissent, cela devrait être visible et les exemples nombreux ! Imaginez dans le contexte économique actuel une société employant 50 personnes qui fermerait ses portes faute de repreneurs alors que sa situation financière serait au beau fixe, ça ferait du bruit non ? Je suis même certain qu’une telle entreprise ferait l’ouverture du 20h des chaines nationales et qu’Arnaud Montebourg serait appelé à la rescousse !

Pourtant, malgré nos recherches et notre appel à témoin à des dizaines de milliers de personnes, nous n’avons trouvé aucune trace de ce qu’on nous affirme être une catastrophe nationale nécessitant une loi !

Non, à de très rares exceptions près, les sociétés de plus de 10 personnes en bonne santé financière ne ferment pas leurs portes faute de repreneurs. Et quand bien même cela arriverait dans quelques cas exceptionnels, comment imaginer que le cédant ferme boutique sans avoir envisagé la reprise par ses salariés…

Le droit d’information aux salariés va donc s’attaquer à un faux problème sur un marché qui fonctionne, pour au contraire le désorganiser rapidement. Car si l’on s’acharne à donner un traitement lourd à un patient qui n’est pas malade, il risque vite de le devenir !


Qu’en est-il des sociétés de moins de 10 salariés

Le marché des TPE de quelques personnes et surtout celui des commerces est très différent de celui de PME de plus de 10 salariés, la limite n’étant bien entendu pas aussi claire que ça.

En effet, d’autres facteurs rentrent en ligne de compte comme :

• La dépendance accrue voire totale de l’entreprise à son dirigeant. Que reste-t-il à reprendre d’une société dont le principal actif est … le chef d’entreprise lui-même ?
• La logique de création qui est souvent privilégiée par rapport à la reprise d’une structure existante. Vaut-il mieux reprendre une société de maçonnerie avec 2 salariés ou créer une structure ex-nihilo en embauchant deux personnes ?
• Certains secteurs d’activité n’attirent plus les repreneurs actuels. Les librairies indépendantes en sont un exemple que nul ne peut nier.
• Certaines régions, certaines localisations sont très peu recherchées par les repreneurs. Les commerces de village qui perdent leurs clients au fil des années trouvent difficilement preneur…
• De nombreuses structures / commerces n’ont pas de salarié – plus de 50% des entreprises en France (source INSEE) – et les emplois en jeu sont des emplois non salariés exercés par les dirigeants eux-mêmes.

On pourrait encore en citer beaucoup d’autres, mais il est évident que le marché de la cession pour les commerces et les TPE de quelques salariés est totalement différent de celui des entreprises plus structurées. Sur ce marché il est évident et avéré que oui, les cédants peuvent parfois peiner à trouver un repreneur.

LA CESSION DES PME NE PEUT ÊTRE TRAITÉE DE LA MÊME FAÇON QUE CELLE DES TPE ET DES COMMERCES

Ainsi nous parlons bien de deux marchés totalement différents par leurs caractéristiques propres, mais également par les masses qu’ils représentent :

• les commerces et les TPE de quelques salariés d’un côté, représentant plusieurs dizaines de milliers de transactions chaque année
• les PME plus structurées de l’autre générant quelques milliers de cessions tous les ans.

Parler simultanément de ces deux marchés génère au mieux des vérités applicables à un seul d’entre eux, au pire des amalgames et des erreurs de jugement préjudiciables. On ne peut évidemment comprendre et améliorer le fonctionnement de deux systèmes hétérogènes qu’en les considérant chacun séparément !

Enfin, il paraît évident qu’imposer un « droit d’information aux salariés » à des structures qui n’en ont pas – emploi non salarié et / ou dont le seul salarié est le conjoint ou la conjointe – ne leur sera d’aucune utilité pour trouver un repreneur… Ce sont aussi et surtout ces emplois qui disparaissent chaque année en France, dans nos villes et dans nos campagnes.

Damien NOEL, associé fondateur de FUSACQ

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